Cette année, le visage d’Exporama est celui d’une jeune fille, aux yeux grands ouverts. Des yeux peints par l’artiste rennaise Charlotte Vitaioli, dans lesquels se reflète un paysage maritime ensoleillé. Dans nos yeux, à C Lab, se réplique un panorama d’art contemporain dans lequel nous vous invitons à plonger… Zoom sur quatre expos sélectionnées parmi la programmation de l’événement estival dédié à l’art contemporain à Rennes…
Les chiens qui aboient
Noir Brillant, c’est le nom qu’ont donné Delphine Lecamp et Anita Gauran à leur association. À travers elle, les deux artistes rennaises souhaitent soutenir la création contemporaine, comme celle d’Edie, une artiste bretonne résident à Berlin. Invitée par Noir Brillant pour une résidence de création de trois semaines, elle a imaginé Les chiens qui aboient. Une installation punk et poétique, présentée jusqu’au 21 juillet dernier à Rennes, au sein d’un lieu d’exception : l’ancienne église Saint-Laurent-des-Vignes.
Concert d'Edie au vernissage de l'exposition Les chiens qui aboient © Noir Brillant
"Quand je suis arrivée dans ce lieu et que j'ai vu les 8 mètres sous plafond, c'était un truc dingue !, se souvient Edie. Je me suis demandée ce que j'aimerais voir dans ce genre d'espace, et j'ai tout de suite pensé à une grande voile, comme un drapeau pirate ou une une voile de parachute, une espèce de grand drapé..." L'artiste inscrit donc, sur un large tissu, un poème sous la forme d'un lettrage :
"Jette le tout, et la clef avec; Pars en courant en ligne droite, les yeux bandés; Jette le tout, et donne le reste aux chiens"
Un texte inspiré de l'actualité française vue depuis Berlin, où vit Edie depuis 12 ans. "À l'époque, il y avait une polémique parce qu'Aya Nakamura était pressentie pour chanter aux Jeux Olympiques, explique-t-elle. Waly Dia avait fait un sketch en réponse à ça, en disant 'c'est incroyable, Emmanuel Macron jette Aya Nakamura aux crocodiles racistes'. Pour moi, c'était plutôt des chiens qui aboyaient très fort, sur certaines chaînes. Ce poème, c'est une émotion, un ressenti auquel tout le monde peut s'identifier : on essaye tous de tracer notre route, et il y a toujours des gens qui pensent à parler plus fort, à agresser".
Tout autour de sa voile, Edie montre aussi des sérigraphies. Et pour mettre le tout en valeur, elle a donné un concert au cœur de l'Église pour les chanceux et chanceuses présent.es lors du vernissage de son exposition.
Chronique de l’oubli
Cadrans de montres masqués par une couche de peinture, horloge déréglée, calendrier sans date… Pour son exposition au centre d’art contemporain 40mcube, Chronique de l'oubli, l’artiste Yoan Sorin a récupéré et transformé des objets évoquant le temps et la mémoire, chacun perturbés par les urgences de notre temps.
Chronique de l'oubli © Yoan Sorin
"L'ensemble de l'exposition constitue une sorte de réflexion sur le temps : le temps qui passe, le temps qui amène de l'oubli, le temps qui se répète, ou qui donne l'impression de bégayer", explique Cyrille Guitard, chargé de la communication à 40mcube. Ainsi, celui qui est aussi en charge de la médiation à la galerie s'est vu confier une mission par l'artiste : retourner, chaque semaine, une des peintures disposées dans la salle d'exposition. "Pour Yoan Sorin, le temps, c'est aussi des échéances, ajoute Cyrille Guitard. Pour lui, cette exposition est vraiment une réflexion sur notre époque et ses urgences : climatiques, mais aussi politiques, si on replace ça dans une perspective très actuelle."
Une réflexion parfois pessimiste, et peut-être même angoissante... En permanence, une bande sonore vient scander les secondes qui passent : une performance de l'artiste, qui s'est enregistré claquer de la langue une heure durant. Le tout dans une arythmie créée par la présence de deux métronomes, que visiteurs et visiteuses peuvent activer à l'envie. La visite dans le temps est possible jusqu’au 22 septembre prochain.
Copyroom
Quand la technologie est souvent synonyme de manipulation de la réalité, quand les émotions ont tendance à primer sur la vérité, comment différencier le réel du virtuel ? Dans l’exposition Copyroom, présentée en partenariat avec l'Atelier Vivarium et Capsule Galerie aux Ateliers du Vent de Rennes jusqu’au 21 juillet dernier, des artistes provoquent une confusion intentionnelle entre fiction et réalité.
Hugo Kostrzewa, Study in Stretch / Ophélie Demurger, Kim --> Paris --> Me © C. Duverger
"L'élan initial partait de l'envie d'étudier ou de détricoter la notion du faux : comment est ce que l'on va envisager comme étant une vérité quelque chose qui relève de l'affectif, de l'émotionnel, du subjectif ? A contrario, comment les fictions vont pouvoir avoir un réel ancrage dans notre réel, un réel impact et avoir du sens ?", précise Alix Desaubliaux, commissaire de l’exposition. C'est ainsi que Copyroom présente, tour à tour, une vidéo du duo Considered to be Allies dont on ne peut pas vraiment déchiffrer l'origine (est-ce un film de famille ? Une fiction ? Un documentaire ?), une caisse en bois, réalisée par Mardi Noir, qui n'en est pas vraiment une car elle est juste le dessin d'une caisse en bois (clin d'œil à la Pipe de Magritte), l'installation Kim --> Paris --> Me d'Ophélie Demurger, imbrications similaires mais différentes, dans laquelle chaque femme rejoue une photo de Paris Hilton, ou encore les photos distordues de Hugo Kostrzewa, générées par IA en mélangeant des représentations de fromages et des images pornographiques s'entremêlant sans que les deux ne soient plus vraiment identifiables...
"Ce qui nous intéressait, c'était la notion de post-vérité, à un moment où la vérité est complètement transformée par les réseaux sociaux. On se rend compte que notre monde d'information est façonné par des algorithmes qui fabriquent un monde à l'image de chacun. Notre vision du monde est complètement biaisée, et l'interconnectivité des réseaux sociaux créée une illusion, une façade au-delà de laquelle on ne sait pas ce qu'il se passe vraiment", conclut Alix Desaubliaux.
Aérosol, une histoire du graffiti
Nous en avons tous déjà vu, voire déjà fait : les graffitis sont omniprésents dans nos cahiers, nos transports en commun et même dans nos rues...Mais connaissons-nous vraiment leur histoire ? Retour sur plus de 60 ans de bombage à main levé, une histoire décortiquée au Musée des Beaux-Arts de Rennes à travers l'exposition Aérosol. "C'est vraiment cet outil qui va être notre fil conducteur, souligne Claire Lignereux, responsable Art Moderne et Contemporain au musée, et coordinatrice d’Exporama.
Apparus dans les années 40, ces objets n'ont, au départ, aucune vocation artistique, et sont avant tout utilisés comme insecticides. Les peintures en aérosol, elles, sont commercialisées à partir de la fin des années 50 pour repeindre carrosseries de voitures et radiateurs. Les premiers détournements de l'outil ont lieu dans les années 60, notamment en mai 68, quand étudiant.es et manifestant.es se saisissent de la bombe pour écrire des slogans sur les murs. Peu à peu, cet usage politique commence à intéresser des artistes : certain.es vont collecter des graffitis dans la rue et d'autres, dès les années 70, prennent la bombe et pour créer avec. Dans les années 80, des mouvements artistiques se structurent, et des techniques s'implantent : les pochoirs, utilisés comme matrice pour bomber des images rapidement et à l'infini, et les tags, développés à New York dans des quartiers populaires, comme le Bronx.
Graffiti de Futura2000 réalisé sur la scène du Bataclan pendant le New York City Rap Tour de 1982 © Adagp
"À partir du tag, qui est une signature faite rapidement, se développe toute une culture du lettrage, du 'graffiti writing', qui va être beaucoup plus artistique, explique Claire Lignereux. On remarque des recherches sur la calligraphie, les dégradés de couleur, les effets d'ombre, de volume... La signature initiale devient un objet artistique." Cette culture est ensuite importée en France, notamment grâce à un élément déclencheur : l'arrivée de la culture hip hop, lors du New York City Rap Tour, en 1982. "Pendant le spectacle, le graffeur Futura 2000 peint une grande toile sur la scène du Bataclan, précise Claire Lignereux. Il fait quelque chose de beaucoup plus abstrait qu'un lettrage, avec des arcs de cercle, des ronds, des formes qui flottent, le tout très coloré, très énergique. Pour plein de jeunes qui le voient sur scène, ça va être un choc ! Ils et elles trouvent que c'est magique : c'est si fluide qu'on a presque l'impression que la peinture sort de ses doigts."
L'exposition couvre également les pratiques actuelles, questionnant la transition entre la pratique illicite du graffiti dans la rue, dans des dépôts, au bord des voies ferrées, et le passage à une carrière artistique qui pourrait faire vivre. Le paradoxe est bien présent : des institutions condamnent l'usage, tandis que d'autres reconnaissent sa valeur artistique. En écho à l’exposition, qui est visible jusqu’au 22 septembre, les graffeurs Jeff Aérosol et JonOne peignent cet été le M.U.R. (Modulable, Urbain, Réactif), situé rue Vasselot, à Rennes. Au même moment, l’artiste Olivier Chaos s’empare, lui, du mur du Couvent des Jacobins, rue d’Échange.