Ouverture: "Après Millennium Mambo et Three Times, Shu Qi incarne à nouveau cette âme en peine à qui on refuse le droit d’établir le moindre contact durable, en dépit des moyens de conjurer, même sommairement, les affres de la séparation. On ne s’étreint pas, on se croise, comme on croise le fer (« Je l’ai croisée cette nuit » dira Tian Ji’an dans un semi-sourire en relatant sa « rencontre » nocturne avec elle sur les toits). Technologies modernes (ordi, sms) ou technique archaïque de l’épée à la pointe de laquelle deux êtres peuvent avoir en quelques secondes l’illusion de se toucher, c’est du pareil au même. La proximité n’échappe pas à la vanité insinuée par la distance qui faussement la fabrique. Il n’est qu’à voir comment rivalités de Cour et rivalités de cœur se tissent en une moire dont les lacunes et les béances sont les plus aveuglants motifs. Scintillements du plan contrastant avec les trous noirs de l’ellipse conspirent alors à une même fin : dissoudre la cible à proportion du manque qu’elle instille dans la conscience sourde des personnages.
A ceux qui estiment ne rien comprendre à The Assassin, on dira simplement qu’il faut écouter et regarder la manière dont les moments s’égrènent et coulissent au chant de l’aube et du crépuscule, s’étirent, éthérés, à l’heure des tambours, prennent volume au souffle de l’air dans les voileries de soie. On répétera volontiers que le récit chez Hou n’est jamais affaire d’enchainements au cordeau mais de rumeurs, de bruissements, de variations de saisons et de lumières. C’est d’autant plus sensible ici que les rumeurs naturelles se conjuguent avec celles de la Cour, que les bruits environnants se mêlent à ceux des couloirs, au cœur du plan comme dans ses interstices. Et puis rappelons ce qu’écrivait Daney à propos de Sayat Nova : « Il faut le laisser agir, se laisser faire, laisser se défaire notre envie de comprendre tout tout de suite (…) Il y a des films clés en mains. D’autres non. Alors, il faut devenir son propre serrurier. »
De même qu’il convient de nuancer la réception d’un film dont on pourrait trop vite saluer la majesté. Si important qu’il soit, The Assassin est une œuvre paradoxale, prolongeant différemment, jusque dans la particularité de son format carré, ce mixte unique chez Hou du plein et du vide, du tactile et de l’abstrait, de la gravité et de l’ineffable. Drôle de sentiment d’un film oscillant sans cesse entre plusieurs échelles, plusieurs définitions, grâce à quoi il parvient souverainement à échapper au formalisme qui le guette. Artisanal et sophistiqué, simple et complexe, minimaliste et fastueux, série B et grand art, tout lui va. Face à lui, j’ai retrouvé le dépouillement un peu fantomal des grands films tardifs que sont le Tabou d’Oshima et le diptyque hindou de Lang, œuvres dont le panache était d’avoir su concilier la puissance décantée des acquis avec le respect élémentaire d’un genre".
Extrait du texte, "The Assassin: souffler n’est pas tuer", par David Vasse - Une prise en DV épisode 7 - pour le Café en revue.
-Midnight Special (Nichols) (8/10) (Rédaction)
+ une lecture pour accompagner le film: le texte d'Ariane Gaudeaux, "L'essentiel invisble", pour le Café en revue.
-99 Homes (Bahrani) (6/10) (Rédaction) [Film sorti en VOD / e-cinéma]
-Triple 9 (Hillcoat) (6/10) (Thomas)
-Kaili Blues (Bi) (6.9/10) (Erwan)
-Les coups de coeur de la semaine:
-Erwan: Starman (Carpenter) et En ligne de mire - Comment filmer la guerre ? (Thoret)
-Thibaut: Midnight Special (Nichols)
-Thomas: Cochon qui s'en dédit (Le Tacon)