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Émission

En Attendant Godard

813: Le Bruit et Louder

Animé par El Comandante Thomas, Thibaut, Doc Erwan | Ulysse et Margot à la technique

-Ouverture: Débordements : "J’ai l’impression que la présence des photographies de Riis sont pour vous davantage qu’une amulette. Elles valent aussi comme manifeste poétique.

Pedro Costa : Riis, Evans ou Smith sont des gens admirables : ils ont pris leur temps. Tout à l’heure, nous parlions de l’urgence dans laquelle les gens de Fontainhas ont été relogés. Eh bien, cette urgence se ressent aussi au niveau du cinéma actuel. Les premiers mots prononcés en conférence de presse par un producteur ou un réalisateur sont toujours à peu près : « ça va être une course contre la montre, mais le film sera dans un cinéma près de chez vous pour Noël. » On retrouve là l’idée que le temps est de l’argent, qu’il faut donc travailler contre lui. C’est tout de même incroyable que le cinéma ait transformé le temps en ennemi. La plupart des films n’ont d’autres ambitions que commerciales : pour une poignée de dollars, ils écoulent de faux sentiments et de fausses émotions. Au contraire, les citoyens-photographes m’ont montré ce qu’était la patience, le fait d’accorder une attention pleine de bienveillance, d’être là sans rien forcer. L’idée la plus importante dans leur travail est, pour moi, qu’une image ne peut être le fruit d’un vol. Peut-être ne pouvez-vous rien donner, ou pas grand-chose, de votre côté. Mais, en tout cas, vous n’avez pas le droit de voler les gens.

Plus tôt, vous me demandiez si mes films avaient des effets sur la société. Hélas, je ne peux rien offrir aux gens que je filme. J’espère tout de même que mes amis auront au final une bonne image d’eux-mêmes. J’écoute donc leurs histoires, et je travaille avec leurs souvenirs afin de les porter à l’écran. En échange, ils me donnent beaucoup, et d’abord leur amitié. Je crains que dans le cinéma actuel, les relations désintéressées de cette sorte ne soient rares.

Débordements : Au contraire des cinéastes classiques hollywoodiens que vous aimez tant (John Ford, Jacques Tourneur, Raoul Walsh), vous êtes maître de vos moyens de production. Vous avez votre caméra numérique, et vous travaillez avec vos amis dans votre « studio de quartier ». Malgré les ténèbres qui vous entourent, il y a là comme une petite utopie devenue réalité.

Pedro Costa : En effet, j’ai oeuvré à cette possibilité. Cela est né du rêve que le cinéma soit proche de la vie, que le travail et la vie puissent être en lien, en dialogue. Et puis il y a également la volonté de démystifier le cinéma, en montrant que ce n’est pas un luxe, ou une activité glamour. Qu’il faille des millions de dollars ou d’euros pour faire un film est un mensonge, relayé en permanence, et qui n’est pas assez combattu. A notre manière, nous affirmons que le cinéma n’est pas hors du monde, mais dans le réel, et qu’il n’a pas pour lieu unique les collines enchantées de Hollywood.

Pour réaliser un film, vous n’avez besoin ni d’une fortune, ni de gros camions, mais plutôt de patience, de temps, d’amour, d’observation et de quelques compétences techniques. C’est toujours la même leçon, celle de Riis, Evans et Smith. Et du travail, du travail et encore du travail. Il faut passer du temps avec les gens, et refuser de transformer un tournage en cette sorte de raid militaire que le cinéma pratique aujourd’hui. Les équipes arrivent dans un lieu, le conquièrent, filment et s’enfuient. Ce n’est pas ainsi que procédaient les citoyens-photographes. Ils inventaient avec les gens qu’ils photographiaient les conditions d’une liberté qui n’a pas de prix. Nous pouvons encore aujourd’hui suivre leurs idées et leurs méthodes, en les ajustant si nécessaire. Il leur suffisait d’un laboratoire installé à l’arrière d’une camionnette, et une équipe de deux ou trois personnes, pour faire des films. Cela peut être repris aujourd’hui. Pensez également aux Russes des années 1920 : le « ciné-train » d’Alexandre Medvedkine, ou les unités de production de Dziga Vertov. Les exemples sont si nombreux, ils jaillissent : Robert Flaherty, tournant seul ou avec une équipe réduite ; Jean Rouch – le formidable Jean Rouch ! ; Warhol et sa Factory ; Straub et Godard, évidemment. Ce sont des phares. Des utopies, peut-être, mais qui sont encore là pour nous guider, nous aider. Et puis aujourd’hui, nous avons Wang Bing, par exemple".

Extrait d'un entretien avec Pedro Costa "Documentaire, réalisme et vie dans les marges" mené par Michael Guarneri pour la présentation de Cavalo Dinheiro (2014), et publié dans la revue en ligne de cinéma Débordements. 07/09/15. Cet entretien a d’abord été publié en anglais dans BOMB Magazine. Il a été traduit par Gabriel Bortzmeyer et Raphaël Nieuwjaer.

 

 

-Suburra (Sollima) (4/10) (Rédaction)

 

-Back Home (Trier) (7.5/10) (Rédaction)

 

-Out 1: Noli me tangere (Rivette) [Coffret Blu-ray / DVD Carlotta]

 

-Body Double (De Palma) [Coffret ultra collector Carlotta]

 

On se retrouve le mardi 5 janvier 2016 pour l'émission bilan de 2015.

 

-Les coups de coeur de la semaine:

        -Erwan: Cavalo Dinheiro (Costa, 2014) [sans date de sortie annoncée]

        -Mathieu: Nous voulons les colonels (Monicelli)

        -Thibaut: revoir Body Double (De Palma)

        -Thomas: revoir Body Double (De Palma)

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