-Ouverture: "Dans un article publié récemment sur le site du New Yorker, « The Enemy of Youth », Richard Brody s’attaquait au dernier long-métrage d’Olivier Assayas. Sous sa plume, Sils Maria devenait davantage qu’un film laborieux, aussi pontifiant que gorgé de fausses audaces : l’emblème d’un cinéma français pétrifié par un système de production empêchant toute indépendance, une véritable pierre tombale posée sur les velléités de la jeunesse. La charge était d’autant plus violente que l’auteur ne pouvait être accusé d’une détestation sans nuance du cinéma français, ou plus largement européen. Francophone, auteur d’un livre sur Jean-Luc Godard, il est même de ces rares critiques américains à se soucier de ce qui s’écrit ici. Aussi la surprise était-t-elle grande de ce texte s’achevant sur ces mots : « Il n’y a presque aucun cinéaste indépendant en France, car il n’est pas censé y en avoir. Leur existence en effet menacerait le système qui, par effets d’habitude, d’attraction et de contrainte, est la source de ce confort que le film [d’Assayas] montre et dont il est lui-même l’image. La médiocrité est étouffante. »
Cette déclaration est sans doute pour partie le fruit d’une perspective biaisée par la mauvaise distribution des films français aux Etats-Unis – New York y compris, semble-t-il. D’une part, parce qu’il existe bien des films de « jeunes » cinéastes français (pour ne s’en tenir qu’à eux) réalisés en toute « indépendance ». Ne citons, du côté de la fiction, que La BM du Seigneur et Mange tes morts, de Jean-Charles Hue, ou Trois contes de Borgès, de Maxime Martinot. D’autre part, parce que l’opposition système / indépendance est trop schématique pour être opérante : le système ne saurait être si puissant ou attractif qu’il empêche toute indépendance. L’un ne va pas sans son revers, et les ruses de production ne manquent pas qui brouillent le partage trop hâtif établi par Brody. Les aides du CNC ou des régions permettent les tournages à petit budget plutôt qu’elles ne les empêchent, et leur absence, si elle complique les choses, ne marque pas nécessairement la fin d’un projet (comme le prouve Un jeune poète). Qu’Assayas représente aujourd’hui l’Auteur Officiel, cela est évident. Qu’il puisse être l’incarnation d’un système économique asphyxiant la jeunesse, cela est plus douteux. Il faudra donc mettre sur le compte de la méconnaissance et d’une vision libérale quelque peu primaire la diatribe de Brody. Visible au festival de Brive, d’Angers ou du Réel, célébré en une des Cahiers du Cinéma, le « Jeune Cinéma Français » (JCF) existe bel et bien. Et l’indépendance, qui n’est pas une affaire d’âge, se découvre aussi bien, si ce n’est mieux, en Philippe Grandrieux, Rabah Ameur-Zaïmeche, Jean-Claude Rousseau, Pierre Léon et une dizaine d’autres au moins, qu’en n’importe quel cinéaste américain.
Le problème du JCF, pour se situer ailleurs, n’en est pas moins réel. Il tient, d’un côté, à des effets de standardisation liés, comme le sous-entend Brody, à la recherche de subventions et à l’ensemble des normes qu’imposent les commissions ; de l’autre, à l’état de saturation du marché, les écrans hexagonaux devant recevoir entre quinze ou vingt sorties hebdomadaires. Tourner un (premier) film est donc toujours possible, voire même encouragé sous certaines conditions. Le distribuer est plus délicat. Dès lors, ce problème affecte aussi la réception critique. Dans un tel contexte, le "premier film" devient cet enfant fragile, trop longtemps resté dans la couveuse des festivals, qu’il faut à tout prix protéger de la violence du marché. Le double saut, du court au long, et du circuit festivalier à celui des salles, est si périlleux que, par complaisance, lâcheté, prudence ou commisération, la critique préfère alors abdiquer toute exigence. Des films (au mieux) anecdotiques se trouvent portés par un enthousiasme souvent difficile à comprendre - citons aussi bien Vandal, La Bataille de Solférino, Les Combattants, Artémis, coeur d’artichaut, Les Rencontres d’après minuit que Vincent n’a pas d’écailles. Sans se risquer là encore à un état des lieux trop péremptoire, il est possible d’avancer quelques facteurs : le mythe de la Nouvelle Vague, le désir critique bien légitime de défendre et d’accompagner chaque bourgeonnement, les effets de promiscuité générés par les innombrables festivals, la qualité souvent médiocre de ceux-ci qui produit, par comparaison, un enthousiasme excessif face à la moindre lueur de singularité. A cela, il faudra encore ajouter une mythification stérile de la jeunesse, qui s’étale en particulier à longueur de numéros dans les Cahiers du Cinéma. D’une intention louable naît un résultat désastreux, puisque c’est la légitimité, et surtout la fonction de la critique, qui s’épuisent ainsi à tout défendre du JCF. Il ne faudrait pas oublier ce qu’André Bazin écrivait en 1958 : "la principale satisfaction que me donne ce métier réside dans sa quasi-inutilité."Qu’entendre là ? Peut-être qu’il faut cesser de limiter l’horizon d’un texte au fait de vouloir convaincre une poignée de personnes, de moins en moins bien disposées, d’aller voir des films traversés par aucun désir, aucune invention, sous le prétexte de les défendre. La critique est moins un art de la prescription, que de la description - des manières dont chaque oeuvre se constitue et travaille au sein du présent, et dans l’histoire. L’exercice est délicat, qui consiste à suspendre (ne serait-ce que d’une phrase) le temps du jugement, sans pour autant se faire examen clinique, désaffecté. La critique ne prescrit que le cinéma à venir - ou plutôt l’appelle, depuis les lueurs ou les éblouissements actuels qu’elle perçoit. Cessant de se croire utile, elle devient nécessaire." Raphaël Nieuwjaer sur Un jeune poète (Manivel) - "Rimes plates". Débordements. 09/05/15.
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-Les coups de coeur de la semaine:
-Erwan: The Good Wife 621
-Mathieu: Dynamite ! 1830-1930: un siècle de violence de classe en Amérique (Adamic) et Boulevard de l'espérance (Risi) [DVD Tamasa, on en parle très bientôt dans l'émission]
-Thibaut: Hot Fuzz (Wright)
-Thomas: revoir la trilogie Mad Max (Miller)