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Rennes libérée !

Le par Héloïse
Actualité Locale
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4 août 1944. Deux mois après le débarquement en Normandie, l’armée américaine, sous les ordres du Général George Patton, reprend la capitale de la Bretagne. Rennes est libérée. 80 ans plus tard, C Lab revient sur la Libération de Rennes à travers le regard de celles et ceux qui l’ont vécu, de leurs descendants et descendantes, mais aussi des gardiens et gardiennes de leurs mémoires...

Histoire de résistantes

Le nombre de femmes résistantes est difficile à situer : entre 12 à 25 % des effectifs, selon les estimations des historiens et historiennes. En Bretagne, terre de maquis, les combattantes étaient bien présentes dans ses rangs, jusqu’à la veille de la Libération. "Dans la résistance, on retrouve les femmes d'une façon différente, mais équivalente de celle des hommes, surtout lorsqu'elles sont à des postes apparemment insignifiants", explique Jacqueline Sainclivier, professeure d’histoire contemporaine honoraire à l’université Rennes 2, spécialiste de la France du 20e siècle, de la Bretagne, et de la Deuxième Guerre Mondiale. Secrétaires, sténodactylos, femmes de ménage... Dans les préfectures, elles peuvent récupérer ce qui traîne dans les corbeilles. "Une femme travaillant à la SNCF ne va pas faire de sabotage sur le matériel, parce qu'elle ne travaille pas sur les voies ferroviaires. Mais elle peut, par exemple si elle est au guichet, donner des renseignements à la résistance", poursuit Jacqueline Sainclivier.

L'hôtel du Cheval d'Or, place de la gare de Rennes / Paulette Redouté et Anne-Marie Tanguy, à leur retour de déportation, en 1945 © Anne-Marie Thomas-Redouté

Souvent, ce sont aussi elles qui hébergent et ravitaillent les fugitifs. À Rennes, à l'hôtel du Cheval d'Or, place de la gare, une mère et sa fille remplissent cette mission. L'établissement d'Anne-Marie Tanguy et de sa fille Paulette, ouvert en 1935, est réquisitionné pour héberger les officiers allemands travaillant à la gare, juste en face. "Ma grand-mère n'a pas du tout accepté la présence des Allemands, qu'elle avait déjà subie pendant la guerre de 14-18. Pour elle, ce n'était pas possible, partage Anne-Marie Thomas, fille et petite-fille de Paulette et Anne-Marie. Elle a été obligée d'accepter ces officiers allemands... Et puis, petit à petit, elle s'est demandé ce qu'elle pouvait faire face à cette situation. Donc elle s'est mise à écouter, à essayer de comprendre ce que faisaient les Allemands. Comme elle avait un caractère assez fort et volontaire, elle n'hésitait pas à en parler dans son café, à dire que ça commençait à bien faire, que personne ne faisait plus rien et qu'il fallait quand même contrer cette présence". C'est ainsi qu'Anne-Marie Tanguy est enrôlée dans un réseau de résistance. Sa mission : fournir des renseignements sur les transports d'hommes, de matériel et de munitions à la résistance locale, et à l'Angleterre, mais aussi héberger des responsables de réseaux de résistance et des alliés parachutés pour rejoindre la côte bretonne.

Anne-Marie Tanguy saluée par le général De Gaulle © Anne-Marie Thomas-Redouté

En avril 1944, Anne-Marie et Paulette Tanguy sont dénoncées, arrêtées, et internées à la prison Jacques Cartier. "Elles ont été interrogées d'une manière assez brutale, souffle Anne-Marie Thomas, parce que les Allemands croyaient qu'elles étaient de vraies collaboratrices ! Elles avaient toujours été très aimables et arrangeantes avec eux... donc ils se sentaient trahis". Le 2 août 1944, juste avant la Libération, elles partent avec le train de Langeais. Les deux femmes transitent par Belfort, avant d'être déportées au camp de Ravensbrück, jusqu'en avril 45. "Elles avaient été choisies la veille de Pâques pour être envoyées à la chambre à gaz, témoigne Anne-Marie Thomas. Mais la chambre à gaz n'était pas très grande, donc ils ne gazaient qu'un certain nombre de personnes chaque jour. Le mardi, des personnes sont parties, puis le mercredi, le jeudi, et le vendredi... Avant le week-end, le nazi en charge a dit que 'celles-là, ce sera pour la fournée de mardi !' Ils ne travaillaient pas le lundi de Pâques. Maman m'a dit 'à ce moment-là, j'ai cru mourir ! On avait deux jours de plus, mais deux jours à attendre la mort...' Mais ma grand-mère, elle, a toujours gardé l'espoir de s'en sortir". Anne-Marie Tanguy avait raison : le lundi de Pâques, le même Allemand leur demande de sortir des rangs, et leur révèle qu'elles sont libérées. À l'époque, une transaction est faite entre les gouvernements français et allemand ainsi que la Croix Rouge internationale, permettant un échange de prisonnières. Mère et fille repartent vers la Bretagne, en passant par Paris, où elles sont reçues par le général de Gaulle. "Ma grand-mère a continué à se battre jusqu'à la fin de sa vie pour faire reconnaître ses actes héroïques, donc elle a été reconnue à ce titre-là. Mais il fallait insister fortement", conclut Anne-Marie Thomas.

S'informer sous l'Occupation : le parcours du combattant

Dès l’arrivée des Allemands à Rennes, en juin 1940, les entreprises de presse sont mises sous séquestre. À l’époque, pas d’internet, pas de réseaux sociaux… Quand la radio est brouillée et que L’Ouest-Éclair, ancêtre de Ouest-France, paraît après validation de l’occupant, comment s’informer sur l’avancée des troupes alliées ?

"Début juillet, L’Ouest-Éclair reprend comme si rien ne s'était passé, explique Etienne Maignen, Rennais d’à peine plus de cinq ans à l’époque, devenu spécialiste de la Deuxième Guerre Mondiale. En une, il y a le marché aux fleurs avec une photo, place de la mairie. Pas un mot sur les bombardements allemands et les milliers de morts qu'ils ont entraînés. Le journal était sous contrôle allemand !" Des Allemands qui soupçonnent des sous-entendus cachés dans la moindre information. Le 6 juin 1944, par exemple, alors que L’Ouest-Éclair titre, dans une période où le ravitaillement est rare, "Aujourd'hui, arrivée de poissons", le censeur y voit presque un message concernant le Débarquement. Selon Etienne Maignen, "au tout début, des journalistes n'ont pas voulu tremper dans ce genre d'encre. D'autres, sans barguigner, ont accepté de travailler sous les fourches caudines de la censure allemande". En effet, la famille Hutin, propriétaire de L'Ouest-Éclair, se met en retrait. Paul Hutin-Desgrées, secrétaire général du journal, démissionne et s'engage dans la résistance. D'autres journalistes restent à leur poste. "Des employés ont pu continuer à travailler au journal tout en étant de la résistance, d'autres ont pu être collaborateurs, explique Jacqueline Sainclivier. L'un des problèmes auxquels on se heurte avec Ouest-France, héritier de L'Ouest-Éclair depuis la Libération, c'est celui de l'accès aux sources, qui est impossible, affirme l'historienne. Cela permettrait pourtant de mieux montrer les ambivalences et les difficultés de la période : tout le monde ne peut pas abandonner son métier du jour au lendemain."

Dernier numéro de L'Ouest-Éclair, le 1er août 1944 / Premier numéro de Ouest-France, le 7 août 1944 © Gallica - Bibliothèque Nationale de France

Malgré la censure, les Français·es continuent d'acheter le journal "parce que dedans, il y a tous les renseignements concernant le ravitaillement : quels tickets sont utiles pour acheter des œufs, du beurre...", expose Jacqueline Sainclivier. Par ailleurs, les actualités cinématographiques ont, elles aussi, toujours lieu, mais avec les lumières allumées... "Ces actualités diffusées au cinéma ont très vite été sifflées : les gens voyaient bien que c'était de la propagande. Ils et elles n'étaient pas dupes, et tout à fait capables d'interpréter, de lire entre les lignes", rappelle Jacqueline Sainclivier. C'est également pour cette raison que la population se renseigne via la radio. "Avec la TSF, on avait Radio-Paris, se souvient Etienne Maignen. Mais les gens écoutaient aussi la BBC, en douce, plutôt le soir. On y entendait les émissions 'Les Français parlent aux Français', avec Jean Marin et Pierre Bourdan... Et aussi 'Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est Allemand'..., chante-t-il. Autrement dit : 'ne croyez pas les mensonges de Radio-Paris, écoutez-nous plutôt !' "

Peu à peu, des journaux clandestins font aussi leur apparition : La Bretagne Enchaînée en 1941, le Journal du Front National de Lutte pour l'Indépendance de la France, lié au Parti communiste, Le Pays Gallo, à partir de 1942, mais aussi des journaux nationaux arrivant de Paris par train, comme Défense de la France ou Témoignage chrétien. "Grâce à la résistance, des relais se forment un peu partout pour diffuser ces titres, déclare Jacqueline Sainclivier. À Rennes, François Elie, une résistante, tenait une épicerie dans laquelle il y avait du passage, et distribuait ces journaux clandestins." Le 3 août 1944, juste après la Libération, la résistance reprend en main la presse. Le premier numéro de Ouest-France paraît dès le 7 août, dans un nouvel état d'esprit : celui de la France gaulliste.

Rennes libérée !

"Pendant les bombardements, quand il y avait une alerte, on allait se cacher dans les bâtiments de Citroën, au coin de la rue Dupont des Loges et de l'avenue Janvier, dans un abri. Il y avait même des Allemands avec nous, vous savez ! Quelques fois ils nous disaient 'Regardez ce qu'ils vous font, vos amis !' Parce que, naturellement, c'était souvent les Anglais qui bombardaient. Alors les uns pleuraient, les autres priaient, d'autres juraient ! Le plus beau, c'était de se retrouver tous à la sortie ! Mais avec tout ce qu'on voyait... C'était pas beau, il y avait beaucoup de morts."

Témoignage de Madame Anna Cavalier, enregistré en 2012 par les Archives municipales de Rennes.

Aux mois de juin et de juillet 1944, les bombardements sont en effet incessants. Les alliés tentent d'empêcher les troupes allemandes de remonter, depuis la Bretagne ou le sud-ouest, vers le front de Normandie. "Ce sont des bombardements lourds, qui font au moins 200 morts chacun", affirme Etienne Maignen. Pendant l'Occupation, Rennes est un centre important de l'administration allemande : s'y trouve une kommandantur départementale, mais aussi un préfet régional de l'administration française de Vichy. Carrefour ferroviaire et routier, la capitale de la Bretagne est aussi une ville stratégique : route de Lorient se trouve un dépôt de pièces spécialisées pour l'équipement des sous-marins de la Kriegsmarine, la marine de guerre allemande. Les Nazis pouvaient ainsi alimenter La Rochelle, Lorient, Saint-Nazaire, Brest, et même Cherbourg.

De gauche à droite, de haut en bas :
Gare de Renne suite au bombardement du 8 mars 1943 / Atelier du frein SNCF suite au bombardement du 9 juin 1944 / Aérodrome de Saint-Jacques suite au bombardement du 19 juin 1940 © Robert Caillard / Wiki-Rennes

"À la Libération même, qui commence le 1er août, il n'y a pas de bombardement, précise Etienne Maignen. Le général Wood, qui commande la 4ème division blindée américaine, reçoit par Ultra, le système de renseignement secret qui utilisait les informations d'Enigma, l'information selon laquelle Rennes ne sera pas une place forte gardée". Après un dernier combat le 3 août au soir, la ville de Rennes est encerclée par les Américains, par l'ouest et par l'est : les Allemands sont dans une nasse. Dans la nuit, les Allemands font sauter tous les ponts de la ville, puis s'exfiltrent par les petites routes, principalement jusqu'à Saint-Nazaire. Cependant, ils ne fuient pas sans faire partir vers l'est deux trains de résistants et résistantes. Environ 1800 personnes sont déportées, le tiers ne reviendra pas. Malheureusement, leurs camarades encore actif·ves ne peuvent agir. "La résistance n'en avait pas les moyens matériel, indique Jacqueline Sainclivier, car elle était très peu armée. C'est une résistance qui a déjà été largement réprimée : il y a eu de nombreuses arrestations au printemps 1944, et ceux qui ont pu s'échapper sont partis dans les campagnes."

Le 4 août au matin, les premiers chars américains arrivent par la route d'Antrain, qui a été baptisée depuis avenue Patton, et par la route de Fougères. "Mais avant les blindés, ce sont des fantassins du 13ème régiment d'infanterie blindée qui entrent dans la ville, sans tirer un coup de feu : il n'y a plus un seul Allemand", raconte Etienne Maignen. Les Rennais sortent, déploient des drapeaux qui devaient être cachés, et puis c'est les embrassades ! Les Américains donnent du chocolat, des cigarettes, de la gomme à mâcher que l'on appelle bizarrement 'chewing-gum', mais aussi des petits étuis bizarres, avec lesquelles on peut faire des ballons... C'était des préservatifs !", s'amuse-t-il.

De haut en bas, de gauche à droite :
Devant l'hôtel de ville de Rennes / Des Rennaises et des soldats américains le jour de la Libération / Rue de la Monnaie / Place de la République / Char américain place de la République
© Musée de Bretagne - Les Champs Libres

Rennes, première grande ville libérée, est détruite à 11% environ. Il n'y a cependant pas que la joie qui est au rendez-vous. "Au moment de la Libération, il y a aussi eu des femmes tondues. C'est une façon de reprendre le pouvoir de la part des hommes, consciemment ou inconsciemment, analyse Jacqueline Sainclivier. Bien souvent les femmes se retrouvent également victimes de viols, pas seulement par l'occupant allemand, mais aussi par des GI. On parle de jeunes hommes accueillis en libérateur : à partir de là, certains se croient tout permis... On peut imaginer que bon nombre de GI ne font pas trop la différence entre un pays qu'ils libèrent et un pays qu'ils occupent."

80 ans de mémoire

À Rennes, au pied des avenues Patton et Rochester, se dresse un immeuble au nom exotique dans cette partie de la Bretagne, le Missouri. "Les immeubles de ce quartier s'appellent en fait Mississippi, Missouri et Floride, révèle Joël David, ancien employé municipal et chargé d'odonymie, l'étude des noms de voies de communication. Ce n'est pas par hasard non plus s'ils se trouvent dans le square Armand de la Rouërie, à l'angle de l'avenue Patton et de l'avenue Rochester. Monsieur Armand Tuffin de la Rouërie était un héros de l'indépendance des États-Unis né à Fougères, dans la direction de l'avenue de Rochester, et qui habitait à Saint-Ouen-la-Rouërie, dans la direction de l'avenue de Patton". Ici, les mémoires se mélangent et se font écho, toujours avec un accent américain. Cette avenue Patton, dénommée en 1949 par le nom de celui qui l'a empruntée pour libérer Rennes quelques années plus tôt, est perpendiculaire à l'avenue Rochester, ville jumelle de la capitale bretonne depuis 1958. "À l'époque, le président Eisenhower a demandé à rapprocher les villes européennes et américaines par des jumelages, développe Éric Beaty, président du comité de jumelage Rennes-Rochester. La ville de Rennes a entendu cet appel car dans les années 50, les maires Yves Milon et Henri Fréville voulaient trouver un moyen de remercier les alliés d'avoir libéré Rennes. Il n'y avait pas meilleur moyen que de rapprocher deux villes !"

Escape game organisé place de l'hôtel de ville par l'Office National des Combattants et Victimes de Guerre, le 23 mai 2024 © ONACVG

"La particularité de la mémoire, à la différence de l'histoire, c'est qu'elle se développe, pointe Nathalie Bidan, référente pour la Bretagne de l'Office National des Combattants et Victimes de Guerre (ONACVG). On ne parle pas de la Seconde Guerre mondiale aujourd'hui, 80 ans après, comme dans les années 1950 et 1960, où on était plutôt dans une glorification. La mémoire des conflits contemporains évolue, le travail des historiens se développe, et la parole se libère."  La professionnelle se souvient, en effet, de témoins lui révélant avoir vécu des atrocités, surtout des femmes, et dont les bourreaux ne se révèlent pas toujours être des nazis : les soldats américains voire, parfois, les résistants eux-mêmes se rendaient coupables d'agressions ou de viols. "Cela efface toute l'image glorieuses de ces résistants, donc c'est très difficile et courageux d'en parler... Et cela arrive de plus en plus", ajoute-t-elle.

Cérémonie des 80 ans de la Libération de Rennes, le 4 août 2024 © Héloïse Décarre

À l'ONACVG, on tente de faire perdurer cette mémoire en mouvement, surtout auprès des jeunes générations. Selon Nathalie Bidan, "on va leur permettre d'appréhender la mémoire autrement, que les jeunes soient eux-même acteurs de cette mémoire. Pour les 80 ans, on a proposé un escape game théâtralisé, qui s'est déroulé le 23 mai dernier". L'objectif : accueillir 400 participant·es et les mettre dans la peau de résistant·es, la veille de la libération. Les ados doivent libérer l'hôtel de ville de Rennes, juste avant l'arrivée des Américains, à l'image des actes du général Le Vigan. À la fin du jeu, des reconstitueurs américains débarquent avec leurs jeeps, sur la place de l'hôtel de ville. Pour Nathalie Bidan, "aujourd'hui, on est vraiment sur un tournant. On se rend compte depuis quelques années que se rendre aux cérémonies devient de plus en plus compliqué : les jeunes sont éloignés de cette pratique. Mais je suis convaincue par le travail de mémoire, et je suis convaincue que les jeunes en ont vraiment besoin pour trouver du sens à ce qu'il se passe en ce moment, notamment dans cette période un peu conflictuelle"

Merci à Anne-Marie Thomas et Etienne Maignen pour leurs précieux témoignages, à Jacqueline Sainclivier, Joël David, Eric Beaty et Nathalie Bidan pour leurs éclairages, et aux archives municipales de Rennes pour leurs partages...

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